Sofia, Sabla, David

Les voilà repris par les courants puissants, violents  et irrésistibles de la « Migration », ce long fleuve qui traverse l’Afrique et qui, sans s’arrêter à la mer méditerranée, remonte jusque chez nous. Rien ni personne ne semble pouvoir l’endiguer.

Je viens de les déposer à la gare du Nord, où ils vont tenter de se protéger du froid qui revient et de reprendre la route vers la terre promise britannique.

On ne saura pas grand-chose d’eux. Qu’ils sont partis d’Addis-Abeba (Ethiopie), qu’ils fuient la tyrannie du régime et les conflits interethniques qui déchirent leur pays, qu’ils ont traversé le Soudan, le désert libyen, la méditerranée dans un bateau de fortune, qu’ils ont laissé leurs empruntes en Italie, pays vers lequel ils seront refoulés si les forces de l’ordre leur mette la main au collet.

Ils se trouvaient hier soir au parc Maximilien, avec beaucoup d’autres. Et j’étais là avec beaucoup d’autres « hébergeurs » (comme on les appelle maintenant). Je proposais deux places ; ils étaient trois. Il ne fallait pas faire mentir le dicton ; donc on a rajouté un couvert et un couchage.

Accueillir, en réalité, ce n’est pas si compliqué. Juste surmonter ses résistances à partager son toit avec des inconnus. Mais une fois la porte ouverte, tout est assez simple, même si les différences linguistiques compliquent un peu les échanges. Pas besoin de se parler pour comprendre que ca fait du bien un bon repas, une bonne douche chaude, un sauna encore plus chaud, une bonne nuit réparatrice sur un matelas moelleux, un petit déjeuner copieux, une connexion wi-fi qui permet les liaisons Wattsapp, quelques vêtements chauds pour affronter l’’hiver.

Et puis arrive l’heure de se séparer. De les ramener là où tu les as recueillis. De les remettre dans le froid sous les flocons qui pointent le bout de leur nez. De le relancer sur le chemin de l’errance. De les replonger dans le fleuve impétueux de la « Migration ». La culpabilité qui s’infiltre dans tes tripes. Les questions qui se bousculent et qui te renvoient à ton impuissance.  «  Quel sens cela a-t-il ?  Est-ce que cela sert à quelque chose ? »

Juste une goutte d’humanité, juste un peu d’espoir d’un monde plus fraternel, juste un trait d’union.

Saint Gilles , le 4 février 2018

 

WAGN5453[1]

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